Ô Canada

Au moment de rédiger ce texte, je peux vous dire les amis que ça ne va pas. Non, ça ne va pas bien du tout. Je suis en dépression, je me sens léthargique, comme un accouchement qui a mal tourné. J'ai les mains froides, les pieds gelés et mon cœur est serré dans ma poitrine.

En effet, depuis une semaine, il fait froid, un froid de canard, un froid Transsibérien. Bon, vous me direz que je ne vous apprends rien de nouveau puisque froid et Canada sont des synonymes. Mais là, il fait - 30 degrés et moins tous les jours.

 

En plus, ce n'est pas officiellement l'hiver puisque nous sommes en automne. Nous ne sommes pas encore le 21 décembre, lorsque je couche ces quelques lignes. Ce sont normalement des températures de janvier ou février. Des températures qui vous mettent encore plus à terre que les factures de fin d'année, les factures d'après fêtes. 

De toutes les manières, peu importe le mois, on ne s'y habitue jamais. Mêmes les propriétaires du coin, les Canadiens eux-mêmes, trouvent ça terrible, alors imaginez, nous, les immigrants.

D'ailleurs, c'est durant ces pénibles moments que je remets sérieusement en question mes objectifs d'immigration d'alors. Sincèrement, avec une myriade de pays dans le monde, c'est au Canada que j'ai décidé de venir. Qu'est-ce qui m'a pris ?

Un de nos anciens chefs d'État disait : "lorsque l'on t'envoie, il faut savoir t'envoyer". Eh Dieu, moi-même, qui m'a envoyée ici parce que cette expression sous-entend qu'en toute chose, il faut savoir faire des choix judicieux. Si ce n'est pas de l'automutilation ou de la flagellation, qu'est-ce que c'est ? De la congélation ?!

Des chanteurs populaires ivoiriens savent bien le décrire, car ils disent que c'est un pays où on a l'impression de vivre dans un congélateur et que la glace tombe du ciel. 

La seule chose positive qui arrive à impressionner les autres frères encore au pays, c'est qu'il y a tellement de neige ici que lorsque tu leur dis que tu vis dans le village du Père Noël, tout le monde te croit. Je suis persuadée que nous avons fait quelque chose au Bon Dieu. Je vous jure que c'est un châtiment divin, une anormalité géographique plus qu'anormale.

Franchement, si vous êtes à la recherche d'exotisme, vous êtes vraiment mal barrés. Personne ne vous dira que le Canada, la Sibérie, l'Alaska et le Groenland sont des destinations à éviter pour tout immigrant, digne enfant du soleil, qu'il est. Aucune brochure touristique ne vous révélera tout ceci. C'est une fois sur place que l'on se rend compte qu'il y a erreur sur le produit et que malheureusement, la garantie ne couvre pas ce défaut de fabrication.

D'ailleurs, chaque matin, le rituel reste le même, presque 8 mois durant. Vous avez bien lu, 8 mois. On nous fait croire que le Canada a 4 saisons, balivernes ! Ici, "ce n'est pas un pays c'est l'hiver", comme dirait l'autre. Comme si le fait d'être  difficilement supportable ne suffisait pas, il fallait que l'hiver canadien soit long.

Durant cette saison, au réveil, personne n'ose sortir du lit du premier coup. Il suffit de mettre la tête hors de la couette pour comprendre que la lutte sera encore serrée, ce matin. Lorsque, pour ma part, j'arrive dans la douche, le chauffage n'est pas encore à son maximum. J'ouvre l'eau chaude et je ne commence à me dévêtir que lorsqu'il y a de la buée sur le miroir. Qui est fou ? Moi, qui l'été prend des douches interminables, l'hiver celles-ci sont express.

Une fois terminée, ne vous risquez pas à vous vêtir sans consulter la chaîne météo locale. Ces gens-là sont très mauvais. Pour ne pas nous effrayer, ils mettent la température "normale", exemple - 20 degrés et en plus petits caractères, la température "ressentie", celle avec le facteur éolien, genre - 30 degrés ! Vous voyez le piège ? Ils sont comme des arracheurs de dents. Météomenteurs, va !

Toutefois, estimez-vous chanceux lorsqu'il neige, car il fait, en théorie, généralement moins froid. Mais c'est souvent le vent qui vient aggraver ce phénomène paranormal. Ce "vortex artic", comme le définissent nos voisins américains, devient alors mortel lorsque l'on a un cocktail de vent, de froid, de pluie verglaçante. Bref, je vous laisse déguster.

Par contre, le pire, dans mon cas, c'est que je prends les transports en commun c'est-à-dire métro et bus. Petite parenthèse : Moi, en transport en commun ? Quand je pense qu'au pays, c'était voiture climatisée avec chauffeur, svp. Hum ! L'homme souffre dans ce pays. Ce qui me fait rire, ce sont les idées reçues qu'ont les gens au sujet de ce mythique pays. J'entends parfois certains nous dire que nous vivons dans des souterrains, que tout se fait par tunnel. Mais qui a osé vous mentir comme ça ? Les gens de la météo ?

Moi, je prends le bus chaque matin, l'arrêt n'est pas dans un tunnel, hein ! 5 petites minutes d'attente dehors à - 35 degrés seulement, c'est comme si vos oreilles vont se casser et tomber à vos pieds. Les doigts et les orteils, n'en parlons pas. Ils hurlent dans vos gants et vos chaussures. Je vous assure que durant cette période, personne ne se préoccupe de son look.

Finis les bas résilles, salue les combinaisons de ski. Qui pense à ses chaussures fashion à petits talons chics et fins ? Bonjour les grosses bottes rembourrées. Qui veut un petit manteau sexy, court et ouvert au niveau du col ? Merci pour les épaisses doudounes longues en plumes d'oie assorties à une écharpe en laine aux mailles tricotées serrées et Dieu merci si vous n'êtes pas obligés de mettre un pantalon de neige. Qui préfère les jupes et les pantalons légers ? Faites passer les pantalons en velours et les collants plutôt. Pour les gants, c'est  pareil. 

Mais THE accessoire ultime, c'est incontestablement le B-O-N-N-E-T. Le seul capable de sauver l'âme de vos oreilles, même s'il vous rend moche et il y a de nombreuses variantes, notamment, la cagoule. Attention aux hold-up !

Vous conviendrez donc avec moi qu'au final, tout ce qui compte, c'est d'être protégé, le plus  possible, quitte à se blinder.

D'ailleurs, on entend souvent que l'on grossit durant l'hiver, parce que le corps fait des réserves pour lutter contre le froid. C'est faux ! Ce sont nos multiples couches de vêtements qui pèsent, oui.

En plus, lorsque je sors du métro, je marche jusqu'à mes bureaux. Ce n'est pas dans un sous-sol non plus ! Quand c'est comme ça, durant mon interminable trajet à pied de 3 minutes, je deviens nostalgique. Je me mets à penser à mes parents restés loin, au soleil, à 12 000 km d'ici et qui se plaignent de la chaleur. Si vous saviez à quel point nous vous envions.

Au moins quand il fait chaud, nous pouvons nous déshabiller, mais quand il fait froid, surtout ce froid qui pénètre dans les os. On a beau s'habiller en pelures d'oignon (plusieurs couches de vêtements, les unes par-dessus les autres), zéro ! L'affaire vous pénètre correctement. Que vous le vouliez ou non, ou en bon québécois, veut, veut pas, vous prendrez votre dose. C'est sûr qu'on ne vit pas dans des grottes et que le chauffage existe, mais il y a comme une corrélation entre les températures basses et le montant de vos factures d'électricité. Vous savez ces factures qui donnent un ulcère d'estomac. C'est à cet instant précis que vous prendrez encore votre dose,  mais au carré cette fois !

J'écris depuis un moment, mais je ne suis même pas sûre d'arriver à vous faire comprendre ce que nous ressentons et vivons au quotidien. Ce froid est indescriptible, inqualifiable, extrême, rigoureux, apocalyptique, brutal, violent, glacial, nerveux et stressant parce que quand vous savez ce qui vous attend dehors, vous êtes automatiquement "tensionnés". 

Ce froid a des tendances légèrement martiales (militaires), car comme disait une amie : "quand tu arrives ici et que tu es impoli à la base, le Canada te redresse". Franchement, je ne peux pas être plus claire que ça.

 

De toutes les façons, le Canada reste le "plus meilleur pays au monde" de Mes origines et rappelez-vous aussi qu'à - 40, les microbes préfèrent aller migrer ailleurs, sous les tropiques. Il n'y a donc pas que de mauvais côtés à y vivre puisqu'en plus de cela, durant l'hiver, il y a des patinoires disséminées un peu partout dans les parcs et les cours d'école, des centres de ski, etc. Mais bon, combien d'entre nous patinons ou skions ?

Dernier petit conseil. Ne vous fiez surtout pas au beau soleil qui brille, quasiment tous les jours d'hiver, dans ce magnifique ciel bleu. Posez-vous une seule question : comment un si beau soleil, ne fait pas fondre la neige ? C'est que la température à l'extérieur est effroyable. 

Mais, ici, c'est chez moi, c'est chez nous et nous y sommes bien. Bienvenue chez nous, bienvenue Ô Canada ! 

Ô Canada est l'hymne national du Canada. La musique a été écrite par Calixa Lavallée et les paroles par Sir Adolphe-Basile Routhier. Il a été chanté pour la première fois le 24 juin1880 lors d'une célébration de la Saint-Jean-Baptiste pendant le Congrès national des Canadiens Français, dans la ville de Québec, mais n'est devenu l'hymne national du Canada que le 1er juillet 1980, un siècle après.